Notre honorable Lucien a-t-il appelé les gendarmes durant la nuit ou le matin ? Je ne m’étais jamais posé la question.
J’ai longtemps accusé, maudi, ces crétins à képi. Aujourd’hui j’hésite : monsieur le maire a sûrement jugé préférable de ne pas les déranger en pleine nuit. Mais alors, si le monstre nous avait assassiné ? * Quand les rideaux sont tirés, un agriculteur fait ce qu’il veut chez lui. Le seul maître après Dieu (bien pratique leur Dieu ! Si Dieu ne le voulait pas, il interviendrait, s’il n’intervient pas c’est qu’il le veut !... Donc nous devons nous incliner). Une femme n’a aucun droit, me répète ma mère. Si l’agriculteur tue sa femme, ses enfants, il sera condamné. Mais personne, avant, n’interviendra. La limite, c’est donc de ne pas tuer. Ou alors, maquiller le meurtre en accident. Le reste, c’est une affaire de famille. « Dans toutes les maisons, il y a des histoires de famille. » « Harcèlement moral » ou « menaces de mort » n’existaient pas. * Son odeur : mélange de fumier, tabac caporal coupe fine, vin rouge, sueur et faisandé. Il se rasait chaque matin mais je ne l’ai jamais vu se laver. Après avoir mis ses habits du dimanche, il s’aspergeait d’eau de Cologne. * parenthèse : Roger Béteille fut lauréat du premier prix littéraire 2009 avec La rivière en colère. Découvrez Roger Béteille et ses livres. * Je sais bien : ils sont nés à une époque où, en France, il fallait encore lutter pour manger à sa faim. Il fallait travailler dur pour récolter du blé, de l’orge et des betteraves ainsi pouvoir nourrir les vaches et vendre le lait. Alors personne ne se souciait vraiment des voisins. Les villes inquiétaient, repaires des ouvriers, ces gens sans terre, qui n’avaient qu’à se débrouiller. Ils n’ont jamais pris le temps de se penser. Même dans une ferme, ils l’auraient trouvé, le temps. Même en trayant les vaches, il aurait été possible de réfléchir. Mais « ça ne rapporte rien. » Le certificat d’étude signifiait la fin d’une époque, fini le bon temps, l’enfant devait gagner son pain, être utile, productif. Apprendre était fini, on n’apprend pas toute une vie ! De toute manière il arrive un âge où le cerveau ne peut plus apprendre ! Et si l’enfant étudie trop, il attrape une méningite ! Encore aujourd’hui, ma mère ressort parfois ces vieilles croyances. Ajout commentaire |