Partir. Je voulais qu on parte
Partir. Je voulais qu’on parte. A trois. Ma mère, ma soeur et moi. Mais où ? Où veux-tu qu’on parte, où veux-tu qu’on aille ?
Nous sommes partis, une fois, j’avais sept ou huit ans : trois jours, trois jours chez un cousin de ma mère, trois jours seulement car il avait deviné, était venu en tracteur, avait promis de ne plus « exagérer. »

En rentrant : « la prochaine fois, c’est avec le fusil que vous me verrez arriver et je vous zigouille tous, ton cousin, ta cousine aussi. »
Ma mère avait pleuré : il n’avait pas trait les vaches, elles avaient attrapé des matons, le lait s’était caillé dans les pis, ne pourrait pas être vendu durant au moins une semaine...

*

Partir loin. Très loin. Pas possible !... Sinon il gardera la ferme, tout sera à lui. Une femme n’a aucun droit. Ma mère m’explique plusieurs fois : si une femme part, elle n’a plus droit à rien ; la maison vient de ses parents, à elle, elle ne peut quand même pas la lui donner. Il serait bien trop heureux ! Pour vivre où ? Sous les ponts ? Traîner la misère ? Mourir de froid ? Mourir de faim ?
Et de toute manière, il nous retrouverait.
Oui, je suis assez grand pour comprendre. Assez grand pour ne pas être d’accord. Je n’ai pas les mots pour l’expliquer, je me tais, pas les mots pour répondre : « notre vie vaut plus que tout ça. » Parfois je crie « c’est pas juste. »
Il faut prier ! Prier pour qu’il s’en aille. Mon Dieu ayez pitié de nous !

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* parenthèse :


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La loi écrite n’était naturellement pas ainsi. Mais comment aurait-elle pu la connaître ?
Il braillait « va-t-en et tout, tout ici est à moi, abandon de domicile, tu n’as plus droit à rien. » (traduction)
Et elle le croyait. Je le croyais aussi. Il le croyait sûrement aussi.

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Résignation. Religion plus éducation de la nation : le droit de vote lui fut accordé à sa majorité, à 21 ans, en 1950, droit de vote autorisé aux femmes uniquement après la seconde guerre mondiale, droit de vote naturellement absent de la déclaration dont nous sommes tant fiers, la Déclaration des Droits de l’Homme.
Mais la campagne tarderait à reconnaître, valider, le changement de statut de la femme, qui vote encore le plus souvent « comme son mari » : il était trop tard, sûrement, pour ma mère, elle avait grandi dans l’idée de l’inégalité, de l’Homme tout puissant.





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