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Extraits romans...
Je cours, m’arrête, me retourne. Il ne me suit pas. Ma main gauche contrôle la veine droite de mon cou. Une peur supplémentaire : je me souviens « si tu fonces comme un cheval fou tu vas attraper une crise cardiaque. » Mais il faut courir : la place, l’abribus. Nouvel arrêt : une autre peur : la lune éclaire la bâtisse du puits, là où « Marie Groette » happe les enfants imprudents et les entraîne au fond de la terre (légende locale, traumatisante, manière grossière d’inculquer les dangers d’un puits), et après ce sera la rue de monsieur le maire ; la rue sans nom, qu’on appelle « de monsieur le maire » car il habite la dernière maison, l’immense ferme, à gauche ; la terrible rue ; même éclairée par la lune, c’est impossible, mes jambes tremblent, je n’y parviendrai jamais ; mais ma mère me l’a crié : « va chez Lucien, qu’il appelle les gendarmes, dis-lui qu’il veut nous tuer. »
La mémoire exagère le temps et la distance. Il me reste l’impression d’avoir parcouru des kilomètres. Je sais pourtant avec certitude : sept cents mètres et des poussières.
Il était trois heures, trois heures du matin, j’avais dix ans. Il gelait. C’était en 1978, dans un village du Pas-de-Calais : Huclier, vingt et une maisons, soixante-sept habitants, pas un diplômé, des agriculteurs.
Presque trente ans plus tard, ce qui me choque le plus, c’est qu’il ne m’ait pas raccompagné, monsieur le maire. J’avais frappé à sa porte, l’ouvrier avait ouvert quand j’hésitais entre continuer ou repartir ; avant toute parole il fixa sa lampe sur mon visage et comme un automate j’articulais mon nom et mon prénom ; je ne sais plus comment je lui ai expliqué la situation mais il bougonna et deux mots furent compréhensibles « chercher patron » ; il referma ; l’attente dura de nouveau une éternité et monsieur le maire est apparu, me laissa dehors, me rassura, oui oui il allait téléphoner aux gendarmes, je pouvais rentrer chez moi... quelques secondes et la clé tournait dans la serrure… Je restais là, figé, ne me sentant plus la force de marcher… le froid m’a sorti de cette torpeur et j’ai couru sans m’arrêter jusqu’au chêne.
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Ce soir-là, vers dix heures, il s’était relevé. Il : mon père. Très jeune, j’ai peut-être dit « papa. » Sûrement pas. Dans ma mémoire aucun souvenir, ni même qu’il me l’ait demandé. C’était IL. Il avait arraché la prise de la télévision en passant, était descendu à la cave, remonté avec deux bouteilles de vin rouge, vidées « dans l’autre pièce », en quelques minutes.
Ce fut comme s’il retournait se coucher ; la télévision, je l’avais rebranchée, un film avec Louis de Funès et Yves Montant ; mais la prise volait de nouveau ; même pas le temps de le maudire qu’il avait sorti la serpe de sous sa chemise, et la table en chêne subissait un énième outrage. Tout en baragouinant il regagna la cuisine ; nous l’avions entendu ouvrir sous fusil, y charger trois cartouches. Quelques secondes plus tard, nous avions compris : « le premier qui fait un pas en haut, il va voir ce que c’est qu’un coup de fusil dans la gueule et si j’entends encore cette télé, je redescends vous zigouiller. »
Je traduis : le patois était sa seule langue dans ces cas-là. Le patois de là-bas, une variante du ch’timi officiel.
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Nous n’avions pas osé tenter le diable, nous nous étions endormis assis sur des chaises, les bras repliés sur la table. Ce n’était pas la première fois.
C’est donc vers trois heures qu’il est réapparu, le fusil en mains. Il a gueulé qu’il allait nous zigouiller. Nous nous sommes sauvés dehors…
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Des extraits du cinquième roman :
- Partir. Je voulais qu on parte
- Notre honorable Lucien a-t-il appelé les gendarmes durant la nuit ou le matin ?... quelques paragraphes
dix photos de Stéphane Ternoise offertes avec le cinquième roman LIRE |
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